Et si on traitait le vieillissement de manière intégrée dans les projets d’aménagement ?

20 octobre 2022

Synthèse des dialogues réalisés avec René Bondiguel en septembre 2022, Directeur d’Archipel Habitat de 2004 à 2012 et de Territoires de 2012 à 2014.

Au cours de votre carrière au sein d’organismes HLM, comment avez-vous vu évoluer les politiques publiques pour la création de logements sociaux adaptés aux questions du vieillissement ? ?

« Au tout départ, dans les années 80, nous avons créé les premières structures dédiées, on les appelait les Foyers Logements. La spécificité de ces logements était qu’on y installait les habitants avec leur propre mobilier. Ceci permettait d’assurer une continuité dans le changement de domicile et d’éviter le traumatisme d’absence d’environnement familier. Lorsque c’était possible, chaque logement était doté de 2 lits, de manière à pouvoir accueillir les couples sans rompre leurs liens et la proximité qui était la leur. Ce mode d’habiter était assorti d’une série de prestations de services pour accompagner le process de vieillissement, via les CCAS, les associations de gestion etc. Ces logements étaient conçus comme des lieux de vie, avec des petits salons confortables permettant aux habitants de recevoir la famille et les amis. 

Le principal problème de ces logements-foyers, c’est qu’ils ont vieillis en même temps que leurs résidents, notamment face au grand âge et aux besoins de médicalisation. »

Quels sont pour vous les ingrédients nécessaires à un bon accompagnement des séniors dans la vie locale ?

« Il est nécessaire de ne pas dissocier les séniors de la vie locale. Ils sont le ferment de la ville, les témoins et porteurs de son histoire, et souvent de la vie de village ou de quartier. Leur lieu de résidence doit être perméable et central, il est nécessaire que la vie sociale soit maintenue et qu’il puisse continuer à voir leurs proches. Cela peut prêter à sourire, mais la proximité du cimetière est parfois importante pour eux, au sens où ils peuvent rendre visite à leurs « chers » disparus, avec un rituel hebdomadaire rassurant. »

Quel a été pour vous le tournant dans l’évolution de ces modes d’habiter ?

« Le vieillissement en bonne santé est un réel progrès que nous mesurons tous depuis plusieurs années. Depuis le début des années 2000, on s’est donc orienté vers un hébergement de fin de vie et de médicalisation accrue : c’est en effet un réel tournant. Dorénavant l’accueil en EHPAD (Etablissement d’Hébergement de Personnes Agées Dépendantes) exprime clairement le vieillissement accru du résident à son entrée dans l’établissement, la moyenne de l’âge étant généralement supérieure à 85 ans. Beaucoup de gérontologues insistent sur la nécessité d’agir en amont et de ne pas attendre les premières difficultés, qui s’expriment souvent par des chutes ou des accidents de la vie quotidienne.

Fort de mes expériences, je pense que la meilleure façon de vieillir, c’est de demeurer chez soi. En Bretagne, la maison néo-bretonne, avec ses escaliers, son sous-sol et le plus souvent son absence de chambre au rez-de-chaussée, a créé des logements inadaptés pour continuer à accueillir les anciens ou les maintenir à domicile. Dans les années 90, lorsque je dirigeais Habitat 29 (aujourd’hui, Finistère Habitat) nous nous étions attachés à créer des logements en secteur rural sur des petits terrains de 180 à 220 m², en T3, avec une chambre en rez-de-chaussée pour accueillir les personnes âgées de la commune afin de ne pas les déraciner. La loi sur le handicap de 2005 inspirée par le Président Chirac a imposé dans tous les logements neufs ou rénovés les normes liées au déplacement des PMR (personnes à mobilité réduite), avec une emprise de 1m 20 autour du lit. Si la motivation de la loi ne pouvait être contestée, dans les faits, cela s’est traduit par des surfaces moindre pour les pièces de vie. 

Pour un sénior, le vrai tournant est la première chute. Après une hospitalisation, il est fréquent que le corps médical interdise le retour au domicile si le risque de récidive est patent. Or, pour permettre le maintien ou le retour à domicile, il est nécessaire d’effectuer des travaux rapidement, ce qui est généralement compliqué tant du point de vue financier que technique. C’est ainsi que beaucoup de personnes sont très vite orientées vers les EHPAD, au regard de l’inadaptation de leur logement. Pour répondre au mieux à ces situations à Archipel Habitat, nous avions été conduits à mettre en place un marché à bon de commande avec un réseau d’artisans, afin que ceux-ci interviennent rapidement pour l’adaptation du logement aux difficultés de déplacements des personnes et assurer leur retour de façon sécurisée. »

Vous avez dirigé Archipel Habitat pendant de nombreuses années, quelle connaissance avez-vous du parc de logements HLM sur la région de Rennes aujourd’hui ?

« Avec mes collègues d’Archipel Habitat, j’ai initié le repérage de l’ensemble des logements adaptables ou adaptés aux personnes à mobilité réduite des quelques 15 000 logements en gestion de manière à identifier, lors des entrées dans les lieux, les immeubles, les logements et les quartiers permettant l’accueil sécurisé des personnes âgées et ainsi de participer à la construction de politiques publiques sur ce point. Les autres bailleurs, Néotoa, Espacil et Aiguillon Construction, ont également effectué ce travail minutieux de repérage auquel était associé celui des équipements de proximité du quartier à moins de 500 m du logement tels les boulangeries, pharmacie, épiceries, … Pour accompagner l’évolution du parc, la domotique et l’ensemble des automatisations qu’elle permet a été très importante et nous en avons d’ailleurs testé la pertinence dans un logement mis à disposition des entreprises et associations pendant un an dans un de nos immeubles de Maurepas. Cette démarche a été valorisée lorsque la ville de Rennes a obtenu le label « Rennes, Ville Amie des Aînés », qui garantit la qualité des politiques publiques des collectivités locales dans le cadre d’une meilleure prise en considération du vieillissement sur leur territoire. Ce Label s’appuie sur un programme initié par l’OMS. » https://www.villesamiesdesaines-rf.fr/

L’évolution du parc dans le temps est un sujet qui mobilise aujourd’hui une grande part des bailleurs. Quels sont les enjeux pour vous ?

« Aujourd’hui on apprend à traiter le vieillissement de manière intégrée. Les politiques publiques évoluent en ce sens. Le Conseil Départemental d’Ille-et-Vilaine imagine par exemple « l’EHPAD à domicile ». A côté de structures dédiés, souvent stigmatisantes, le vieillissement est parfois « un invisible » pour les aménageurs ou bien traité de manière ponctuelle. Le défi actuel est de lutter contre l’isolement des personnes âgées en nombre grandissant alors que la dépense publique plafonne et que la création de lits d’EHPAD supplémentaires demeure résiduelle. Réussir à susciter la solidarité générationnelle afin de souligner le rôle que le sénior continue à avoir dans la société est une orientation pertinente avec de nombreux exemples à l’appui (Caserne Mac Mahon, Beauregard à Rennes…). Les relations de voisinage fonctionnent souvent avec un intérêt conjoint qu’il faut valoriser et qui peut être support de convivialité. Les formes de béguinages, très répandues dans le Nord de la France par exemple, sont une piste à explorer pour y parvenir. La colocation proposée par une personne âgée à un ou une étudiante, jeune en formation ou débutant une activité professionnelle en contrepartie d’une présence et de services correspond à des intérêts réciproques bien compris. Décloisonner la question du vieillissement est assurément une orientation prometteuse qui s’impose à nous. Cette ambition peut se réaliser par une démultiplication de solutions qu’il faut regarder comme autant d’opportunité pour bien vieillir. »

Exemple de béguinage – Capelle-la-Grande (59)

Vous avez découvert récemment l’écosystème d’Habitat et Qualité de Vie et les ponts ainsi façonnés entre acteurs du monde de l’aménagement. Que cela vous inspire-t-il ?

« J’ai été heureux de constater la démarche originale proposée par Habitat et Qualité de Vie. Elle mérite une attention particulière des élus locaux ou responsables divers de la construction de la ville et de l’aménagement des espaces. La complexité des nombreuses étapes de leur fabrique s’inscrit dans un cycle long, parfois supérieur à la durée d’un seul mandat d’élu local. Dès lors, s’imposent une méthode exhaustive et rigoureuse pour « aller vite et bien », ne rien omettre, y compris de la mobilisation des habitants et des parties prenantes, toutes légitimes. C’est un investissement intellectuel bien placé alors même que le foncier devient un bien rare, réservé prioritairement à l’alimentation humaine, à la biodiversité et à sa résilience. »

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Les clubs régionaux

La mission des Clubs Habitat et Qualité de Vie est de promouvoir le dialogue entre les acteurs qui fabriquent la qualité de vie des territoires : les élus et collectivités locales, les professionnels de l’aménagement et de la construction, les experts de l’urbanisme et de la transition écologique, les habitants et collectifs d’habitants.

Le label

Le Label Habitat et Qualité de Vie a pour ambition de mettre l'écologie et la qualité de vie au cœur des opérations aménagement. C'est un outil méthodologique au service des maires et des aménageurs dans la définition et le suivi des domaines de qualité suivants : gouvernance, mixité sociale, convivialité villageoise, écosystème vivant, urbanisme, construction et paysage.