La Trame Brune

02 avril 2021

La « trame brune » est une expression inventée sur le modèle de la Trame Verte et Bleue, appliquée à la continuité des sols. Largement ignorés pendant de nombreuses années, ces derniers sont pourtant essentiels au fonctionnement des écosystèmes. Ils ne sont pas qu’un simple support physique pour la végétation, leurs rôles sont extrêmement variés :

Biodiversité : malgré leur discrétion, les espèces vivant dans le sol ou au sein de l’humus (les débris végétaux en cours de décomposition à la surface du sol) rivalisent en nombre et en variété leurs voisines du dessus. Ce sont plusieurs milliers d’espèces animales, et plusieurs dizaines à centaines de milliers d’espèces bactériennes et de champignons, qui cohabitent dans seulement quelques mètres carrés de sol, le tout sur une épaisseur très faible (parfois moins d’un mètre) ;

Cycle de l’eau : infiltration de l’eau de pluie, circulation souterraine, disponibilité en eau pour les plantes, évaporation… Les sols de pleine terre nous préservent à la fois des risques liés à l’excès d’eau, ou à son manque ;

Cycle des nutriments : c’est la diversité des organismes du sol qui assure la dégradation complète des débris végétaux et des cadavres animaux, en les fragmentant par étapes successives pour les transformer en nutriments de nouveau disponibles pour les plantes.

Absorption et stockage du CO2 atmosphérique, via l’enfouissement de matière organique et sa transformation par les organismes du sol2. Seule cette incorporation dans les couches profondes du sol permet de piéger durablement le carbone absorbé par les végétaux ;

Lutte contre les pollutions : les sols filtrent les eaux de ruissellement, retenant partiellement les polluants, et les organismes du sol sont parfois capables de les dégrader en éléments inoffensifs ou moins toxiques ;

Etat sanitaire des végétaux : les interactions entre les organismes du sol et les végétaux sont innombrables3. On peut citer les symbioses entre des champignons et les arbres4, indispensables pour l’alimentation de ces derniers en nutriments, les effets répulsifs de certains organismes face à des parasites ou des pathogènes, le travail du sol effectué par les vers de terre, qui facilite l’enracinement des plantes, etc.

Pour conserver toutes ces fonctions, l’intégrité physique, chimique et biologique des sols doit être préservée. En premier lieu, il s’agit de restreindre au maximum leur artificialisation. Quand c’est possible, des sols de pleine terre doivent être restaurés là où les surfaces artificielles ne sont pas (ou plus) nécessaires. La gestion appliquée aux espaces verts est aussi importante : la gestion différenciée, la protection des sols (par un couvert végétal ou du paillage), le non-usage de produits phytosanitaires, l’apport de compost plutôt que d’engrais chimiques… sont autant de pratique assurant l’intégrité des sols. Il est également préférable d’éviter les plantations d’espèces annuelles, régulièrement remplacées, car les arrachages – replantations récurrents déstructurent les formations fragiles du sol.

Il y a par ailleurs dans l’expression « trame brune » une notion essentielle de connectivité. Les espèces présentent dans le sol ont elles aussi des besoins de déplacement5, pour accomplir leur cycle de vie, se reproduire, échapper à des changements ponctuels dans leur environnement, recoloniser un milieu après un épisode de mortalité, etc. Notamment, plus les populations sont isolées, plus elles sont vulnérables (perte de diversité génétique, risque de disparition locale…).

À une échelle plus macroscopique, les arbres et arbustes profitent de cette continuité en échangeant de nombreux nutriments, via leurs racines et leurs partenaires champignons. Des arbres isolés chacun dans leur fosse seront plus fragiles et vulnérables aux aléas (climat, pathogènes, blessures physiques…), tandis que s’ils partagent un volume de sol commun, le système dans son ensemble pourra compenser les carences des uns et des autres et contribuer au bon développement de chacun. Sans oublier que laisser plus d’espace au système racinaire des arbres permet d’éviter de futures dégradations de la chaussée !

Villiers-le-Bel :

Il faut imaginer que naturellement, le système racinaire d’un arbre occupe un volume à peu près similaire à celui de ses branchages. Dès lors, il n’est pas surprenant de constater les dégâts causés par certains arbres âgés et bien développés, qui furent à l’époque plantés dans des fosses beaucoup trop petites.

Il est donc crucial de réfléchir au maintien d’espaces de pleine terre, aussi continus que possible, au sein des villes. Bien sûr, l’artificialisation des sols est souvent inévitable : fondations des bâtiments, voiries, etc. Mais dans de nombreux cas, il serait possible de la réduire et de minimiser l’isolement des portions de sol maintenues, par exemple en organisant différemment le stationnement, les réseaux ou les aménagements piétons.

Des opérations de « désartificialisation » – consistant à casser le bitume à des endroits sélectionnés pour remettre de la terre à la place – se multiplient dans plusieurs villes du globe. Si elles démontrent qu’il est techniquement possible, et souhaitable, de restaurer des espaces de pleine terre en milieu urbain, elles remettent surtout en cause les pratiques habituelles consistant à imperméabiliser systématiquement tout espace bâti.

Il est infiniment plus simple, moins cher et moins dommageable pour l’environnement de conserver les écosystèmes existants, que de tenter de les réparer après leur destruction. Ainsi, les projets d’aménagement gagneraient à questionner sérieusement l’avenir qu’ils réservent au sol et à considérer la pleine terre comme une option « par défaut », à laquelle on ne doit renoncer que là où il y a une nécessité réelle d’artificialisation. Au vu des enjeux portés par les sols urbains, ces principes devraient devenir la norme et non plus l’exception.

21 SEPTEMBRE 2016 ROBIN CHALOT

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